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Histoire des révolutions de Taïti par Poutavery (1782) – Présentation

Histoire des révolutions de Taïti par Poutavery (1782)

 

Poncelin de la Roche-Tilhac : Histoire des Révolutions de Taïti (1782)

La vie de ce hobereau poitevin, né en 1746, fut des plus agitées. H fit ses études chez les Jésuites et se destinait à l’état ecclésiastique. Quand la Révolution éclate, il se trouve à Paris et se montre d’abord zélé partisan de l’ordre nouveau. Avec Michaud, le futur auteur des Croisades, il lance un journal.

Mais en 1795, il passe dans le parti de la réaction; enveloppé dans les proscriptions du 13 vendémiaire, il se réfugie à Chartres.

Il est arrêté comme royaliste pendant la Révolution de Fructidor. Il prend la fuite et échappe aux recherches. Il meurt en 1828.

Deux éditions de YHistoire des Révolutions de Taïti parurent en 1781 et 1782, sous un titre légèrement différent.

Sous couvert de tracer le tableau de l’Enfance des Mirmidons, premiers habitants de Tahiti, l’auteur nous fait dès l’abord l’apologie de l’état de nature :

« Instruits par la simple nature, les Mirmidons représentent parfaitement l’enfance du genre humain. La terre leur fournissait des fruits et des légumes qui suffisaient à leur subsistance. Des peaux d’animaux dont la vieillesse avait causé la mort leur servaient de vêtements. »

Bien entendu, l’île est un espèce d’Eden : « La beauté du pays qu’ils habitaient, la fertilité, la douceur du climat, les fruits délicieux qu’il fournit, ajoutaient encore un nouveau degré de jouissance et de bonheur à ce peuple aimable.»

L’écrivain va montrer comment ce peuple fut peu à peu gâté par le progrès : on se met à tuer les animaux, on construit des maisons, le sentiment de la propriété se fait jour et avec lui les querelles, les contestations et les procès se multiplient.

Les Mirmidons, livrés à eux-mêmes et ignorant l’état de corruption et d’indigence dans lequel gémissait la plus belle portion de la terre, jouissaient en paix de tous les dons de nature, lorsqu’ils virent arriver un Atlante, nommé Pantomitoul, échappé au bouleversement de l’île Atlantide, sa patrie. Ce nouveau venu, que ses compatriotes appelaient Sage, est un philosophe; il leur dévoile l’existence de Dieu, de l’éternité.

Ils devaient connaître bientôt une nouvelle invasion : celle des Puli- gènes, qui cultivaient les Arts et les Sciences, n’ignoraient pas les lois de la politique et avaient porté l’art de la guerre au plus haut point de perfection. Ils apprirent aux Mirmidons à labourer, à semer et à moudre le blé et à faire du pain, qui pis est, l’usage de l’or et de l’argent. On commence à voir des pauvres chez ce peuple naguère heureux. On ne connaît plus l’hospitalité; les cœurs s’endurcissent, l’honnêteté se mesure à la dépense.

Un nouveau débarquement amène les Saginotes, peuple de guerriers, qui dévastent le pays, massacrent les habitants, chargent les autres de chaînes.

Après l’invasion, l’Empire des Mirmidons fut en proie à la guerre civile. Les discordes intestines, fruit de l’opulence et de l’oisiveté, finirent par la ruine de la liberté.

Ici s’insère tout naturellement une vive critique des peuples civilisés. Le paysan y est malheureux, accablé d’impôts et de corvées. Le roi donne l’exemple d’une grande dépense. «La nation qui était déjà le singe de la Cour, suivit cet exemple contagieux; elle se rassembla presque entière dans la Capitale où les plaisirs étaient sans nombre et les passions sans aucun frein… Toutes les charges, les dignités, les emplois, les places civiles, militaires et sacerdotales se donnaient à ceux qui étaient en état de payer. »

Cependant, la pauvreté devint honteuse et insoutenable : « L’honneur qui avait remplacé la vertu chez les anciens Mirmidons, était alors remplacé lui-même par l’opulence. Rien n’était honteux pour y parvenir et il suffisait d’être opulent pour être un honnête homme. »

L’occasion est excellente pour glisser des attaques contre les magistrats et la richesse du clergé.

On voit ici comment le cadre de l’île désormais fameuse sert à l’écrivain pour faire passer, sans trop de danger, le procès sans merci de l’état social de la France, quelque dix ans avant la Révolution.

La seconde partie de l’ouvrage est moins intéressante. C’est une description méthodique des mœurs, des arts et de la religion des peuples de Tahiti. C’est souvent une reprise des thèmes développés dans le premier tome.

La grande utopie de l’égalité sociale — toute relative, d’ailleurs, comme on va le voir — revient encore sous la plume de l’écrivain. Le roi — car il y a un roi — est modestement vêtu, un esclave — car il y a tout de même des esclaves — peut prétendre épouser la fille de son maître et celui-ci ne se croit pas déshonoré en prenant pour femme sa servante.

«Le luxe, ce montre qui, sous des climats différents, enlève tant d’hommes à la société, n’a pas encore osé paraître dans cette contrée. Le roi de chaque année réunit un conseil et distribue les terres. La magistrature n’est pas une possession lucrative : « On ne connaît parmi eux aucune propriété pour tout ce qui concerne les choses de première nécessité. Chacun cueille des fruits au premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison où il entre, sans craindre la réclamation d’aucun propriétaire. »

Bien entendu, ces « aimables Insulaires exercent envers les étrangers l’hospitalité la plus complète… » « Ici comme à Paphos, Vénus est la déesse de l’hospitalité. Son culte n’y admet point de mystère et chaque jouissance est une fête pour la Nation. Aussitôt qu’un étranger est entré dans la case d’un Taïtien, une foule de jeunes filles s’offrent à son regard, et chacune adresse des vœux au Ciel pour obtenir l’honneur d’en être préférée. »

Une fois de plus, nous retrouvons l’éloge sans réserve du paysage : « On ne trouve peut-être rien sur le globe de plus enchanteur que ces païsages; ce sont les jardins des Hespérides. »

Même couplet sur la beauté des femmes : « Ce sont toutes autant de nymphes aussi charmantes et aussi parfaites que l’étaient celles qu’Homère plaçait auprès de la voluptueuse Calypso.

L’auteur suit de très près le récit de Bougainville : «L’air qu’on y respire, les chants, la danse presque toujours accompagnée de postures lascives, tout rappelle à chaque instant les douceurs de l’amour, tout crie de s’y livrer, et les applaudissements du public honorent le sacrifice de la victime. »

II nous reste à conclure que Poncelin, comme tant d’autres, n’apporte rien de très original au chapitre de l’exotisme tahitien; les écrivains se répètent inlassablement, mettant à profit l’engouement du public pour tous les ouvrages qui empruntent le décor des îles prestigieuses et dont les héros appartiennent à ce peuple « beau comme le ciel qui l’avoit vu naître, voluptueux comme les sources qui murmuraient dans ces solitudes… ».

Jean Gautier

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‌Tahiti dans la littérature française à la fin du XVIIIe siècle. Quelques ouvrages oubliés 
Les origines d’une légende
sem-linkJean Gautier
Journal de la Société des Océanistes Année 1947 3 pp. 43-56

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