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Lettres taïtiennes – Madame de Monbart – (1784) – Présentation

Lettres taïtiennes (1784)

 

Madame de Monbart : Lettres taitiennes (1786).

Vers 1786 parurent à Bruxelles et à Paris les Lettres taitiennes de Mme de Monbart.

Marie-Josèphe de l’Escun (8) de Monbart fut une femme de beaucoup d’esprit. Née à Paris en 1750, elle reçut une brillante éducation; elle épousa en 1775 M. de Monbart, qu’elle suivit en Prusse. Après la mort de ce dernier, elle épousa un gentilhomme allemand, nommé Sydow.

Elle publia à Berlin, en 1776, Les loisirs d’une jeune Dante, Sophie ou l’Éducation des filles, puis des Mélanges de littérature, dédiés au prince de Prusse (1779) et De l’Éducation d’une Princesse (1781) et enfin les Lettres Taitiennes, sans compter d’autres ouvrages en allemand.

C’est un roman par lettres échangées entre deux amants, Zeïr et] Zulica, «deux jeunes gens simples qui ne doivent avoir d’autre maître que la nature ». Zeïr abandonne Zulica dans son île fortunée pour se rendre à Paris. Excellente occasion pour esquisser une fois de plus le parallèle entre les deux pays.

H faut citer une partie de l’introduction, qui, dans une langue charmante, chante les mérites sans nombre de Tahiti « qui possède un des plus doux climats de l’univers ». En voici la description, que n’aurait pas reniée l’auteur à’Atala : « Des montagnes escarpées, couvertes jusqu’aux sommets d’arbres toujours verts, la défendent des brûlantes ardeurs du midi; des vents doux et frais, qui y soufflent périodiquement, conservent à la verdure cette nuance délicate qu’un soleil trop ardent terniroit; mille sources limpides, après avoir lentement serpenté, pour fertiliser ces belles contrées, viennent se réunir en nappes de cristal dans l’intérieur de l’Isle ou retomber en colonnes argentées le long des rochers qui la bordent.

« Des arbres de toute espèce, couverts d’une multitude d’oiseaux, courbent mollement leurs branches enlacées, pour embrasser de riantes cabanes, qu’ils dérobent à la vue et rendent inaccessibles aux raïons du soleil. »

Voici pour le cadre ; que sont les habitants ? « Des hommes heureux habitent cette Isle fortunée : ils sacrifient au Dieu des plaisirs, et leur innocence épure son culte : l’amour est leur passion dominante, ou plutôt ils n’en connaissent point d’autre; tous les moments de leur vie y sont consacrés, l’Isle entière est son temple, les gazons ses autels, et la bonne foi le garant de ses sermens. »

Ils suivent la loi de nature : « L’odieux préjugé n’a point d’accès dans cet heureux coin de la terre. Leurs loix simples sont gravées au fond de leur âme et leur code est la nature. »

Enfin, la crainte de l’au-delà ne vient point troubler cette quiétude : «Aimant le repos sans être paresseux, ils goûtent lentement le plaisir d’être, dans les douceurs d’une vie tranquille, mais non désoccupée, et après en avoir joui sans chagrin, ils la quittent sans terreur, et regardent la mort comme un doux sommeil.»

Abordons maintenant le roman proprement dit. Il s’ouvre sur les plaintes de Zulica abandonnée par son amant : « Ah ! Zeïr, pourquoi m’avoir quittée ? Où trouveras-tu plus de plaisirs, des femmes plus tendres, un ciel plus pur ? Toutes nos belles Taïtiennes pleurent ton départ… »

Voici la réponse que Zeïr envoie de Marseille : « …non, tous les raffinements du luxe, ces lits en broderie, ces appartements tapissés des plus riches étoffes, ne me feront point éprouver une sensation si voluptueuse qu’une prairie émaillée de fleurs nouvellement écloses et couronnée par ces bosquets que la nature se plût à semer dans notre île fortunée pour servir d’azile à d’heureux amans. »

On voit le ton de cette correspondance amoureuse qui se poursuit tout au long du roman.

Zeïr, qui veut apprendre aux Français l’amour à la mode de Tahiti, fait une première expérience malheureuse et ayant désiré le prix d’un sentiment que Julie lui avait paru partager, il en fut puni par l’entrée de celle-ci au couvent.

L’amant infortuné aura plus de chance à Paris, où il retrouve les mœurs tahitiennes. Il s’éprend d’une duchesse, puis de Madame de Ger- meuil, tandis que Zulica est traînée à Londres par le farouche capitaine anglais Johnston.

Le livre se termine par des constatations que Diderot avait développées tout à son aise dans le Supplément, non encore paru en librairie à cette date :

« Qu’est-ce donc que des conventions qui détruisent toutes les notions primitives de la nature ? La vertu n’est-elle pas une partout et serait-il possible que ce qui est bon et honnête à Taïti fût vicieux chez vous ? »

Zeïr adresse à Paris ces adieux désabusés : « Adieu, Paris, ville de boue et de fumée, où la vertu est écrasée par le vice, où la pauvreté est un défaut et la richesse un mérite… Adieu, Sirènes enchanteresses, qui cachez sous l’attrait des grâces des âmes viles et vénales, adieu, beautés impétueuses auxquelles il ne faut que des esclaves… »

Zulica et Zeïr se retrouvent finalement à Paris et s’unissent par les liens du mariage.

« Zeïr, après tant de fautes et de malheurs, est au comble de la félicité par la constance d’une femme qu’il adore. »

« Quand on se permet si souvent d’être infidèle », lit-on ailleurs on note, «il n’y a guère de mérite à être constant.»

Quoi qu’il en soit, l’amour tahitien est vainqueur.

Ces lettres, un peu mièvres, se laissent lire d’un bout à l’autre sans ennui; ce petit livre laisse dans l’ombre les préoccupations philosophiques qui semblent ailleurs inséparables de l’évocation du mirage océanien.

Jean Gautier

LIRE LE LIVRE

Tahiti dans la littérature française à la fin du XVIIIe siècle. Quelques ouvrages oubliés 
Les origines d’une légende
Jean Gautier
Journal de la Société des Océanistes Année 1947 3 pp. 43-56

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